Nous avons des observateurs plongés dans le monde. Ces observateurs s’expriment. On s’intéresse ici au discours : c'est-à-dire une suite de mots énoncés à l’écrit ou à l’oral. Cette suite de mot suppose une langue (vocabulaire, grammaire). Elle est supposée correcte dans cette langue. Elle est aussi supposée signifiante (vouloir dire quelque chose).
Dans ce cas on peut se poser la question de la vérité du discours.
Au besoin, on peut fragmenter le discours en partie. Ces parties sont autant de discours. L’intérêt de cette fragmentation est que l’on peut aboutir à une simplification de l’objet du discours. Il faut faire attention lors de cette fragmentation de ne pas sortir la « phrase de son contexte ».
Quel peut être l’objet du discours ?
- A Le monde réel (passé, présent ou futur).
- B Un monde hypothétique de même nature que le monde réel
- C L’état de fonctionnement du système cognitif du locuteur (passé, présent ou futur).
- D L’état de fonctionnement du système cognitif d’un autre observateur (passé, présent ou futur).
- E Un état de fonctionnement hypothétique de système cognitif d’un observateur.
- F Interaction de A et de C
- G Interaction de A et de D
- H Interaction de C et de D
- I Interaction de A, C, D
- J Interaction de B et de E.
Cela fait pas mal, mais la liste semble complète. La notion de « vérité du discours » se décline de façon différente selon les cas.
Commençons par examiner le cas A « le monde réel ».
L’énoncé peut se classer en plusieurs catégories :
- Vérité pleine
- Vérité fragmentaire ou aléatoire
- Futur
1. Vérité pleine.
Pour un discours sur le monde réel passé ou présent, et à condition que le vocabulaire soit précis, la notion de vérité ou de non vérité est plein.
« Sartre est mort (phrase énoncée en 2006) ». Vrai.
« De Gaulle est vivant (phrase énoncée en 2006) » : faux.
« Napoléon est mort à St Hélène » : Vrai (la question porte ici sur la qualité de l’information : la thèse qu’il se soit échappé est licite, si cette thèse pouvait être étayées, alors la phrase serait fausse). Cette phrase ne peut pas être vrai ou fausse en même temps.
2. Vérité fragmentaire ou aléatoire.
Si le vocabulaire est insuffisamment précis, l’ambiguïté apparaît, et la notion de vérité n’est pas pleine. Les phrases peuvent être interprétées de plusieurs façons, certaines peuvent être vraies, d’autres fausses.
« Les français sont nuls en langue étrangère ». C’est un exemple de phrase ambigu dont la valeur de vérité est aléatoire.
Tout d’abord, il existe des français très doué en langue étrangère et donc au sens strict cette phrase est complètement fausse. Mais, le sens stricte n’est pas le sens commun de cette phrase qui est « en majorité, les français sont nuls en langue étrangère ».
Il demeure 2 problèmes : savoir ce qu’est cette majorité et savoir ce que c’est que d’être nul en langue étrangère.
Si la majorité c’est 50 % + 1 des 62 millions de français, alors la phrase est une évidence creuse. En effet, cette population comporte des jeunes qui n’ont pas encore appris de langues étrangères et des personnes âgés qui ne l’ont jamais faits. Sans compter les « échecs scolaires courant », il n’est pas étonnant que moins de 50% des français pratiquent une langue étrangère. Il est assez probable que dans aucun pays au monde, le taux de personne bilingue dépasse 50% (même au Luxembourg ?). Il s’agirait donc de 50 % des 20/60 ans moins les 30% de « hors systèmes. La phrase voudrait dire « la majorité des 70 % des 20/60 ans français sont nuls en langues étrangères ». Cela fait un peu capilotracté !
Etre nul en langue étrangère est-ce ne pas être bilingue, en connaître qu’une (et pas 2) ? Où place-t on la barre ? Est-ce un « 10 » au Bac en langue ?
Dans ce cas, la phrase «la majorité des 70 % des 20/60 ans phrases ont un niveau inférieur à 10 bac dans une langue étrangère » est fausse. Ne serait –ce que parce que 2 millions de français vivent à l’étranger et que l’on peut leur supposer ce niveau.
Autre exemple.
« La France plaide pour un élargissement maîtrisé de l’union européenne ». La métonymie est classique, La France ne désigne pas le territoire, l’état ou la population mais désigne le gouvernement et le chef de l’état. On suppose que ce groupe de personne s’est mis d’accord et que de façon collégiale, l’un de ces membres plaide cet élargissement (aujourd’hui). On ne sait pas quand cette plaidoirie a eu lieu ni où, ni même si cette plaidoirie a vraiment été formalisée dans un discours. Autant d’ambiguïtés qui rendent difficile d’évaluer la véracité de la phrase.
Quant à la signification de « élargissement maîtrisé » c’est coton. Il existerait donc des élargissements non maîtrisés ? Peu importe, pour la véracité de la phrase, ce qui compte c’est de savoir si cette phrase reflète fidèlement ou non « ce que la France plaide ». Il est possible que le représentant de la France ait dit « je plaide pour un élargissement maîtrisé … » : auquel cas, le compte-rendu est vrai… Il est probable que ce représentant a fait un assez long discours et juger de la fidélité de cette synthèse est hors du champ de la logique.
3. Pas de vérité dans le futur.
Pour un discours sur le monde réel futur utilisant un vocabulaire précis, la notion de vérité n’existe pas au "moment présent du discours". Nous avons affaire à une prédiction. La notion de vérité ou de non vérité sera (éventuellement) pleinement tranché dans le futur.
S’il y a une date d’échéance, la non réalisation de l’événement prédit pourra être constatée. S’il n’y a pas de date d’échéance, la non réalisation de l’événement prédit ne pourra jamais être constatée. Ceci conduit donc à dire que les prédictions du genre « Nostramadus » n'ont pas de valeur de vérité : il est impossible de les infirmer (sans parler de l’ésotérisme du fond).
« Demain, happy hours entre 18 et 20h » est un indication sur le futur qui relève de la prédiction. Si c’est le gérant du bar qui l’affiche, alors cela constitue un engagement. Malgré cette promesse, il est toujours possible qu’il ne fasse pas « happy hours », mais dans ce cas, il sera très mal vu et il sera possible de lui intenter un procès.
« Le 11 juillet 2006 , la Lune sera pleine » est une prédiction (écrite avant le 11 juillet 2006). Etant donné la force prédictive de l’astronomie, nous accordons une forte probabilité de réalisation à cette prédiction. Toutefois, il est toujours possible d’imaginer l’arrivée d’un bolide qui vienne perturber la trajectoire de la Lune d’ici le 11 juillet et qui fasse que la Lune ne sera pas pleine. La probabilité de dette événement n’est pas totalement de 1.
Autre exemple extrait de wikipédia (nostradamus).
Le lyon ieune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle:
Dans cage d'or les yeux luy creuera,
Deux classes vne, puis mourir, mort cruelle.
- Ce quatrain ferait référence à la mort d'Henri II.
- En juin 1559, le roi Henri II affronte son cousin, le comte de Montgomery, lors d'un tournoi de chevalerie. Ils auraient porté tous deux un lion comme insigne. Henri II reçut la lance de son adversaire dans son casque (selon certains, en or) et eut l'œil transpercé. Il mourut dix jours plus tard.
- Lors de la publication de la première édition des Centuries en 1555, Henri II aurait été averti de la présence de ce quatrain. En effet, sa femme, Catherine de Médicis, était une fervente admiratrice de Nostradamus. Cependant, Henri II aurait surtout tenu compte de la présence du mot « duel », ce qui à son époque faisait surtout référence au règlement par les armes d'un différend entre deux personnes. Il ne se serait donc pas méfié lors du tournoi de chevalerie qui lui fut fatal.
L’association après coup de ce quatrain et de l’événement est largement discutable (un casque n’est pas une cage, il est invraisemblable que le casque ait été en or, la différence d’age entre les 2 justifient peu les qualificatifs de jeune et vieux, ce n’est pas un duel, que veut dire « deux classes une » ?). C’est une possibilité parmi des milliards. Il pourrait s’agir de vrais lions dans une vrai cage en or. Comme il n’y a pas d’échéance, cet événement prédit peut encore être à venir. Dès l’instant où l’on prédit un événement de probabilité non marginale (la mort d’un roi en combat à l’époque) sans le situer précisément (lui donner une date d’échéance ou désigner la personne auquel cas, l’échéance est la mort de la personne), le mécanisme des probabilités fait que l’événement acquière une très forte probabilité au fil du temps. Si l’événement a une probabilité de p par an, alors la probabilité est de (1-p)puissance(nombre d’année). Cette formule « tend vers 1 », c'est-à-dire que l’événement est « quasi certain ».
Un autre exemple du genre est « un jour il y aura la guerre ».
4. Conclusion.
Même pour un énoncé concernant le monde réel, la notion de Vérité ou de non vérité est déjà délicate.
Dans bien des cas, cette notion n’a pas de sens. Comme le sage, il faut répondre « MU ».