« Pourquoi vaut-il mieux se garer en marche arrière dans une place restreinte le long de la route ?»
Cette question m’a été posée et je la trouve intéressante pour mon propos concernant le langage et la vérité.
Tout d’abord, je suppose que tout le monde admet l’assertion. Elle est « évidente » : il n’y a qu’à faire l’expérience !
On constate que lorsque l’on se gare en « marche avant », on ne parvient pas à se placer à proximité du trottoir. CQFD.
Mais justement, pourquoi cela ?
Je crois que cet exemple est illustratif de 2 règles qui me semblent assez générales :
- La première est l’inefficacité du langage comme outil pour les sciences et les techniques.
- La seconde est l’énorme difficulté à expliquer « ce qui est évident ».
Tentons justement de le faire.
On doit d’abord remarquer que l’on suppose avoir affaire à une auto « normale » dont les roues directrices sont à l’avant (à 4 roues).
On sait que la « bonne manoeuvre » consiste à se placer légèrement en avant et de façon parallèle à la place, de reculer en braquant fortement pour « engager l’arrière », de reculer droit pour « placer l’arrière » et de contrebraquer en reculant pour « ramener l’avant ».
Il s’agit là d’un optimum sur l’ensemble des trajectoires possibles de la voiture. Ce que l’on recherche c’est de prouver qu’il s’agit d’un optimum. En l’occurrence, il s’agit de minimiser le chemin parcouru (mais aussi le temps et l’effort à faire).
L’ensemble des trajectoires possibles de la voiture est contraint par les règles vues précédemment. Il reste très vaste. D’autant que les positions de départ sont « libres » (on pourrait imaginer par exemple de se présenter orthogonalement à la place).
Les preuves d’optimum sont des problèmes difficiles (cf question du voyageur de commerce). On peut constater des optimums locaux. Les phénomènes statistiques (la sélection naturelle au sens large) fournissent des optimums. On n’est rarement certain qu’il s’agisse d’optimum absolu.
A défaut, pour mon propos, il s’agit d’expliquer littéralement pourquoi la manoeuvre arrière marche mieux que la « manoeuvre avant ».
Alors la description vue d’en haut du mouvement de l’auto se traduit par le mouvement d’une rectangle (les 4 points centraux des roues qui restent de dimension constantes). Ce rectange a une face « avant » et une face « arrière » (étant donné les dimensions des autos, ce sont des petits cotés du rectangle). Pour des raisons physiques, ce qui se passe sur les roues est différent selon les cas.
Les roues avant « roulent » uniquement : elles roulent dans la direction de leur plan. La direction commande ce plan (un léger glissement en rotation). Le plan des 2 roues avant est parallèle (mais il y a possibilité d’un infime écart dans la matérialisation du mouvement – sans cela, les 2 roues ne pourraient pas rester à la même distance). Elles peuvent ne pas rouler à la même vitesse.
Les roues arrières roulent avec des vitesses qui peuvent être différentes. Surtout, elles peuvent pivoter « sur place » (ce mouvement pouvant être conjoint au roulement). Il s’agit d’un léger glissement qui est provoqué par la traction du véhicule (subit et non imposé).
Voilà une conjonction de contraintes pour le mouvement du véhicule (on suppose qu’il n’y a pas de dérapage : c’est raisonnable quand il s’agit de se garer – il y a l’exception de la méthode d’Arnold dans True Lies »).
La justification que l’on cherche est dans ces contraintes. Mais comment l’élucider ?
On peut tenter de faire une maquette ou de faire un dessin et de modéliser le mouvement. Cela reste du niveau de l’expérience (qui est « immédiate »). Alors que l’on cherche justement une explication « par le langage ».
Dans la description de la manoeuvre arrière, on voit que l’on « engage l’arrière » puis que l’on « ramène l’avant ». Il s’agit là de résultats des contraintes du mouvement. Pourquoi ces contraintes ont elles cet effet ?
Lorsque les roues avant sont dans un plan qui diffèrent de l’axe du rectangle, cela conduit à faire pivoter ce rectangle. En supposant qu’une des roues arrière soit bloquée (cas limite), le rectangle tourne autour de celle-ci.
Lorsque les roues avant sont dans un plan qui est dans l’axe du rectangle, le mouvement est une translation dans l’axe du rectangle.
Donc la décomposition de la manoeuvre arrière est : un pivotement « d’engagement dans la place », une translation de « positionnement de l’arrière » et un autre pivotement autour de l’arrière qui est déjà dans la place. Cette décomposition stricte induirait beaucoup de frottement (en pratique, on ne le fait que quand il n’y a pas de marge) et la manoeuvre esthétique et de l’effectuer de façon « coulée et fluide ».
On voir à l’inverse que la manoeuvre « avant » se traduit par un pivotement d’engagement de l’avant dans la place. Alors, la solution est d’avancer pour place l’avant. Mais ensuite, le mouvement du véhicule ne permet pas de pivoter sur l’avant. Il n’y a pas de moyen simple d’amener l’arrière dans la place.
Bilan.
Je crois qu’au final, mon texte explicatif justifie la supériorité de la manoeuvre arrière sur la manoeuvre avant.
Il est possible que des incertitudes demeurent (faut-il prouver l’impossibilité de pivoter sur l’avant).
Je pense que cet exercice est une bonne illustration de ce que je voulais obtenir : c’est difficile de « prouver l’évidence ». (remarque. Il ne faudrait pas utiliser cela en sens inverse et considérer que puisque c’est difficile à prouver c’est donc que c’est évident !).
Il me semble enfin que dans malgré ma description textuelle de la manoeuvre, on doit toujours s’en faire une image (c’est à dire un dessin virtuel).